Histoire de Chasse

Héritage d'une Passion

Hunting Cameroon
12 Juillet 2018 | dans Histoires de Chasse | par Xavier Vannier

Après toutes ces années d’observation et d’apprentissage auprès de mon père Frank VANNIER, le temps est venu pour moi de guider seul mon tout premier safari de grande chasse.

C’est un mois de janvier que je rencontre mon chasseur. Didier est animé par l’adrénaline que procure le pistage au buffle de savane. Ce n’est d’ailleurs pas sa première expérience.

La matinée suivante, alors que nous étions encore en train de faire connaissance dans le 4×4, nous recoupons les empreintes d’un troupeau de buffles. Je m’arrête aussitôt, tout le monde descend afin de juger les traces. De l’herbe encore humide, fauchée par un sabot et de l’urine pas tout à fait sèche, piégée dans une feuille morte, témoignent de la proximité des animaux. En revanche, certaines traces sont recouvertes par les pattes d’une civette, ce qui me laisse penser que les buffles sont passés en fin de nuit. Soudain, mon chef pisteur me siffle, il a vraisemblablement trouvé l’empreinte d’un mâle prometteur. 7h05 : nous prenons le pied !
Nous effectuons près de 3 heures d’un pistage plutôt technique avant d’obtenir le contact. Le biotope est très fermé. Un bako dense, cerclé d’une muraille de paille ralentit notre progression. Nous devrons multiplier les approches pour identifier tous les animaux du troupeau et confirmer qu’il ne compte aucun mâle prélevable. Le « gros pied » qui a suscité notre excitation appartenait en réalité à une vieille femelle. Nous abandonnons donc notre chasse pour regagner le véhicule.

Une demi-heure plus tard, alors que notre excitation commençait tout juste à retomber, mon pare-brise reçoit de violents coups de baguette de bois, celle qu’utilise mon chef pisteur posté à l’arrière du pick-up, afin de communiquer avec moi. Je coupe aussitôt le moteur puisqu’un énorme buffle solitaire se tient immobile près de la piste ! J’intime à mon chasseur de sortir silencieusement du pick-up alors que je descends de mon côté. Je me rends compte que je suis en apnée, comme pour éviter que ma respiration ne trahisse notre présence. Pas besoin de jumelles pour confirmer que nous avons affaire à un vieux mâle. Je parcours quelques dizaines de mètres sur la pointe des pieds, évitant la moindre feuille morte, afin de positionner correctement la canne de tir. Ce n’est qu’alors que je perçois la réticence timide de mon futur ami. Il met le buffle en joue mais malgré mon autorisation de tir, ne presse pas la détente de sa 375. Il m’avoue ne pas être certain de vouloir prélever son buffle de la sorte. En sportif, Didier aspire à prendre un pistage depuis le début pour éventuellement se réserver ce genre d’occasions pour les derniers jours, en cas de vache maigre… Il refuse ainsi ma permission de tir sous le regard courroucé de mes pisteurs. J’intériorise mon soulagement : quelle déception aurait-ce été de prélever un tel animal dans ces conditions. Je remercie Didier en silence.

Les jours suivants, nous multiplierons les contacts et les émotions, mais l’espoir se mêlera souvent à la déception, l’excitation à la frustration. Ne dit-on pas qu’il convient d’être opportuniste en Afrique ? Était-ce là, la leçon ? Savoir accepter un cadeau quand la brousse nous l’offre ?

Vint enfin le tout dernier jour.

Le tout pour le tout, nous partons du campement dès 5h30 du matin afin de rejoindre un territoire reculé de la zone. Sur la route, nous commençons par apercevoir un léopard qui longe la piste plusieurs dizaines de mètres avant de s’immobiliser dans un biotope bien dégagé. Nous l’observons longuement tandis que les premières lueurs du jour soulignent le contraste de sa peau unique.

leopard cameroun faro safaris

Un peu plus tard, alors qu’il fait encore sombre, je distingue une masse imposante au milieu de la piste. Je ne reconnais pas la silhouette, trop petite pour être un éléphant et pas assez élancée pour être une girafe. Pourtant l’animal culmine à quelques mètres de hauteur ! Une nouvelle espèce ? Non. Un éland de Derby. Debout. Sur ses pattes postérieures, en train d’arracher quelques branches feuillues d’un Isoberlinia luisant. C’est la toute première fois que je vois un éland qui se met debout ! C’est sûr, cette journée ne se passera pas comme les autres.

Quelques minutes plus tard, j’aperçois des traces de buffles sur la piste. Un troupeau de plus de 40 bêtes sans aucun doute. J’arrête le moteur de mon pick-up pour évaluer le temps de passage des bovidés. Les traces semblent fraîches, nous cherchons quelques minutes de plus dans l’espoir de trouver une bouse ou des indices végétaux lorsque nous entendons meugler à quelques centaines de mètres. Nous sommes tout proches !

Nous nous équipons immédiatement, il est 6h15. Le pistage commence alors que le vent est absent ce matin. D’après les traces, un beau mâle doit forcément se trouver dans le troupeau. Nous progressions silencieusement lorsque les traces nous ramenèrent sur la piste.

faro safaris buffles de l'ouest

25 minutes plus tard, nous apercevons de la poussière en suspension dans l’air : ils sont là. Nous nous rapprochons du troupeau, jusqu’au contact. Les taureaux paissent ici et là : environ 50 animaux au total ! Le gros du troupeau est sur notre gauche, une autre partie est toujours sur la piste. Aucune alerte n’a été donnée, le vent régulier couvre le bruit de nos pas. Soudain, j’aperçois du mouvement dans la paille sur notre droite. Je jumelle : quelques dos noirs, rouges et bruns. L’espace d’une fraction de seconde, j’ai l’impression de voir un vieux mâle ! Son image disparaît de ma rétine aussi vite qu’elle m’est apparue. Est-ce mon imagination qui me joue des tours ? Je ne suis plus sûr de rien. Malgré tout, le troupeau est trop éparpillé. Je décide de progresser sur la piste, dans l’espoir que les quelques animaux sur notre droite rejoignent le reste du troupeau en traversant devant nous.

Nous nous postons et je briefe mon ami chasseur. Il est prêt à tirer, appuyé sur son trépied, son souffle maîtrisé. Alors, une première vache traverse à 40 mètres devant nous. Suivie d’une deuxième, puis d’un veau. Une grosse bufflonne prend la suite. L’obturateur de l’appareil photo de Sylvie, la compagne de Didier, la figera dans sa traversée. Elle nous regarde les naseaux dilatés et, intriguée, décidera de se rapprocher de nous. 35 mètres : « ne bouge pas » dis-je à Didier. 30 mètres : « elle va s’arrêter ». 25 mètres : je ressens la nervosité de mon équipe à qui j’ordonne de ne pas faire un geste. Les buffles captent les effluves et entendent très bien mais leur vue est discutable. Tant que nous restons immobiles et que notre odeur ne parvient pas à ses naseaux, nous sommes de vulgaires cailloux. La vache se fige, nous jauge et puis se désintéresse de nous. Elle finit par traverser la piste et rejoindre le reste de ses pairs. Didier souffle à peine lorsqu’une seconde bufflonne apparaît alors et décide de se rapprocher encore de nous. Forts de notre première confrontation, je sens que Didier est plus confiant. Nous autoriserons la bufflonne à passer la barre des 20 mètres. Elle finira également par juger que nous ne représentons aucun danger. Erreur de lecture. Les derniers animaux que j’avais repérés traversent à la file indienne un peu plus loin, nous avançons en rythme. Ce sont des femelles accompagnées de leurs veaux ainsi qu’un tout jeune mâle… Je distingue un dernier animal, ce doit être LUI ! Je propose à Didier de se préparer au tir sur mon ordre, le temps d’estimer le trophée aux jumelles. Fausse alerte, c’est bien une femelle qui traverse la piste sans même nous voir. Puis… Plus rien.

Me serais-je trompé ? Aurais-je magnifié ce jeune mâle dans mon esprit ?

Après 8 jours de quête acharnée et de multiples contacts avec de jeunes buffles, il est facile d’imaginer le vieux mâle et de le visualiser partout.

Alors que j’étais déjà en train d’imaginer une stratégie alternative, j’entends la paille bouger, toujours sur notre droite. Je distingue une masse brune, plus imposante que les autres. Cet animal est mature, plus aucun doute. Je ne distingue pas encore son trophée. Est-ce une grosse femelle ? Ou le vieux mâle de mes rêves ? L’animal sort de la paille pour poser un sabot sur le rebord de la piste à 40 mètres de nous : un vieux mâle ! Le seul mot que je prononcerai sera « oui ». Didier s’exécute en une fraction de seconde. Son canon rugit. L’impact sourd suit, caractéristique de la balle qui pénètre la chair. Notre buffle rue mais poursuit sa course. Ses muscles imposants se déploient et lui ordonnent de courir pour sa vie. Le reste du troupeau se fige à 200 mètres, en haie d’honneur. Ils nous jaugent autant que nous les surveillons.
Mon chef pisteur repère notre objectif le premier. Il me le montre aussitôt, surexcité. Didier et moi approchons pour nous positionner pour un dernier tir. Le buffle s’écroule à 100 mètres de nous, dans une chute interminable. Je sens déjà l’émotion et l’adrénaline de Didier qui l’inondent. Nous nous dévisageons, toutes dents dehors. Mais alors que je me tourne vers le buffle, je remarque ses spasmes. Non, ce ne sont pas des spasmes. Il essaie de se retourner, toujours au sol, à l’aide de ses pattes postérieures, la tête haute et les muscles de son cou contractés. Il nous cherche. Il va se relever, je le SAIS. Nous devons réagir rapidement.
Le buffle s’agite frénétiquement, impossible de tirer de là où nous sommes. Nous devons nous rapprocher. J’invite Didier à me suivre rapidement. 50 mètres, 40, 30 mètres. Le buffle se relève en un mouvement étonnamment fluide. J’enlève la sécurité de mon arme et le mets aussitôt en joue. Une confrontation silencieuse et interdite s’en suit. Le temps se dilate. Il n’existe plus rien d’autre que lui, et moi. Je ne ressens aucune agressivité. Ni dans son attitude, ni dans son regard, ni dans ses appuis. Où est-elle ? Celle qu’on m’a souvent dépeinte. Nous nous regardons pourtant droit dans les yeux, j’essaie de comprendre. Que ressent-il ? Que comprend-il lui-même de notre rencontre ?
Mon chef pisteur me sort de ma torpeur, je décide alors de mettre fin à ce face à face.

8 jours de chasse. 8 jours de doutes. Pour seulement quelques minutes où les émotions se libèrent, impétueuses, décuplées.

Ce dont je me souviendrai le plus lors de ce premier safari, ce sont les larmes de mon père. Celles qui traduisent la fierté, la transmission d’un héritage ancestral, d’un savoir-faire familial depuis 4 générations.
Loin de mon client et de toute lumière, je pleurerai également ce soir.

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