Histoire de Chasse
La Terre des Pygmées
Le Dornier survole un océan vert à perte de vue quand poindra un minuscule rectangle vert luminescent aux contours marqués :
la piste d’atterrissage, au milieu de nulle part. Nous frôlons les dernières cimes, et nous posons confortablement sur le tapis végétal. Charles Dugas de la Boissonny,
guide assistant Pierre Guerrini (Faro West), nous accueille cordialement.
Le Dornier survole un océan vert à perte de vue quand poindra un minuscule rectangle vert luminescent aux contours marqués :
la piste d’atterrissage, au milieu de nulle part. Nous frôlons les dernières cimes, et nous posons confortablement sur le tapis végétal. Charles Dugas de la Boissonny, guide assistant Pierre Guerrini (Faro West), nous accueille cordialement.
Une ribambelle de pygmées gesticulent, s’affairant comme des fourmis autour de l’avion qu’ils dépouillent de nos bagages et des vivres frais venant de Douala.
À une heure de piste, le camp et son personnel fort aimable, nous ouvrent les portes d’un salon et de quatre chambres climatisées. Tout au long de notre séjour, Cécile, la cuisinière féline, ne cessera de nous étonner par ses talents de cordon bleu ajoutés à son charme naturel. Un couple de Mexicains très agréables (Eduardo et Alice) partage la même aventure. Ils chasseront avec Charles. Alain, mon ami, chasse au Cameroun pour la huitième fois. Il rêve d’un bongo et d’un éléphant. Mais son expérience de l’Afrique le rend raisonnablement opportuniste.
Le premier matin, nous rencontrons une trace de bongo : moyenne, un pied d’éléphant de la veille et enfin des bouses luisantes de buffles nains. Nous décidons de les poursuivre. Les pygmées en dénombrent quatre dont un gros pied qui laisse présager d’un beau trophée.
Après deux heures de cache-cache dans cette flore très dense, un beuglement nous avertit de leur proximité. Nous abandonnons les traces et coupons à travers le mur végétal. Aucune visibilité à plus de cinq mètres ! Il nous faut progresser le plus lentement possible. Heureusement, une ondée nocturne a humidifié la couche de feuilles mortes tapissant le sol. Soudain, une trouée, un mouvement, prolongement d’une forme : les buffles se découvrent dans une clairière, plongés dans un bain d’eau boueuse. Le soleil éclaire la scène, tel un spot divin. Une vache immergée à mi-hauteur nous fait face, ses deux larges oreilles aux aguets. Son corps dissimule le mâle vautré derrière elle. Impossible de tirer. Coup de vent : les mufles brillent, les naseaux se dilatent pour mieux happer l’effluve qui bientôt les effraie. Une vache, l’œil exorbité, nous localise et souffle l’alerte.
Débandade : les corps s’extirpent de la vase dans un bruit de succion. Nous garderons la vision fugace de quatre culards s’évanouissant dans une végétation luxuriante. Sur le retour, nous rapporterons aussi le souvenir d’une simulation de charge brutale et invisible d’un gorille aussi surpris de notre intrusion que nous de la sienne.
À l’aube du lendemain, nous quittons le camp, la canopée en ombre chinoise, baignée de brumes bleutées. Un pied frais de bongo a marqué la piste rouge. Les pygmées descendent, tenant leur chien en laisse.
Trois bonnes heures de pistage sans jamais rien apercevoir.
En forêt, le principal organe des sens en éveil, c’est l’ouïe. Nous entendons le battement caractéristique des ailes de calaos au-dessus des cimes, les cris stridents des perroquets gris du Gabon et du touraco géant, l’écho sourd des caisses de résonance du chimpanzé mâle dominant, marquant sa suprématie au sein du groupe. Des milliers de gouttes d’eau tombent des branches agitées par une multitude de singes invisibles, effrayés par notre présence. Notre bongo a traversé une ancienne piste de débardage, puis s’est attardé pour déguster des plantes à larges feuilles odorantes. Nous traversons un cours d’eau couleur thé, escaladons sa rive abrupte et glissante et trouvons finalement sa couche encore tiède. Les pygmées nous confirment qu’il n’est plus très loin. Ils libèrent le chien de tête qui s’esquisse silencieusement. Au bout d’un court instant, nous l’entendons japper au loin. Les autres chiens sont lâchés. Ils foncent vers leur congénère et nous derrière. L’excitation monte crescendo. Les machettes et le sécateur précédemment utilisés, ne servent plus. Il nous faut glisser tels les pygmées dans cet élément qui nous agrippe, nous freine, retient chacun de nos gestes. Les chiens aboient en chœur nous avertissant qu’ils encerclent le bongo. Nous nous activons, trébuchons, nous relevons, perdons notre oxygène. Une liane m’emprisonne, une épine déchire la chemise d’Alain, tant d’obstacles à contourner. Des secondes qui semblent éternelles. Notre animal nous attendra-t-il ? Nous parvenons enfin près du but quand les glapissements se déplacent pour nous revenir dessus. Le bongo a rompu le ferme et reprend notre couloir, les chiens après. Il faut s’éjecter afin de l’éviter. Sa silhouette se dessine enfin, et nous frôle à deux mètres. Immature ! Nous le laissons s’enfuir et hélons les chiens. Sa course aura empreint notre mémoire d’un moment magique.
Le chemin du retour sera agrémenté par la vision fantastique et imposante d’un gorille « silver back », à la démarche dédaigneuse et puissante, traversant la piste. Heureusement que ces primates ne sont pas d’une nature très belliqueuse.
Quelques jours après, alors que nous roulions depuis bientôt trois heures sur les pistes rouges ouvertes récemment par les forestiers, nous croisons l’empreinte attrayante d’un nouveau bongo.
Après seulement trois quarts d’heure de traque, nous découvrons trois couches, signes d’un long moment de repos. Cérémonial identique à notre précédente chasse : les chiens furent déliés un à un. Nous amorçons notre course militaire à travers lianes, flore, épineux, franchissant un tronc jonché, contournant un autre plus imposant, glissant sous une branche à l’oblique. Nous atteignons l’endroit d’où nous parviennent les aboiements furibonds de la meute en effervescence.
Encore haletants, nous approchons, cachés par le tronc immense d’un iroko. Nous discernons alors notre animal, corps trapu au roux contrasté s’effilochant de bandes blanches, dos cambré, cornes saillantes, tête au sol pour mieux se protéger des assaillants. Je donne le feu vert à Alain qui essaie tant bien que mal de discerner l’animal. Le coup retentit. Le bongo prend la balle et disparaît dans les feuilles maculées de son sang, la meute à ses trousses. Nous redémarrons et arrivons sur un animal à l’agonie, la balle ayant perforé le cou. Félicitations réjouies des pygmées. Séance photo. Nous arrêtons notre regard sur le bout des cornes blanc ivoire. Quel esthétisme. La nature offre une telle diversité de combinaisons.
Puis les éléments se déchaînent avec une rapidité déconcertante. Les géants verts se courbent. Certains plieront jusqu’à leur point de rupture. Nous revêtons nos ponchos imperméables et prenons le chemin du retour. Quelques troncs paralysent momentanément notre progression. La rage des tronçonneuses libèrera, après quelques suées lavées par la pluie, le chemin de latérite. Nous atteignons le camp où nous serons accueillis par une population en liesse. Nos amis mexicains réussiront dès le lendemain, sous l’égide de Charles, un superbe bongo qui scellera le record de la saison avec 31 inches.
Nous orientons maintenant notre quête sur l’éléphant. Nous observons une grande densité de petits troupeaux très agressifs. Mais peu de solitaires et encore moins de « grands pieds ».
Un matin, alors que les rayons du soleil transpercent les cimes, dansant avec la chlorophylle dans un prisme de dégradés de verts, nous repérons les empreintes intéressantes d’un solitaire. Elles datent de la nuit. Nous les suivons la journée entière. Les crottins parsemés ici et là déposent une odeur âcre, pugnace s’incrustant jusque dans nos cellules olfactives. Elle persiste plusieurs heures avant de s’évanouir biologiquement, puis psychiquement. Une couleur ocre rouge s’accroche à nos vêtements, cheveux, peau, comme si nous venions de perdre une partie de « paintball ». L’éléphant aura pris un bain de boue souillant les feuilles, nous tachant au passage. Nous nous imprégnons de son odeur et adoptons sa couleur par mimétisme forcé.
La végétation nous engloutit, oppressante. Elle apprend à glisser, esquiver, ramper, enjamber, pour pouvoir la déflorer. Il faut la traverser dans le sens qu’elle autorise sinon gare à votre épiderme, déchiré, piqué, congestionné et vos muscles soumis à rude épreuve. Elle impose l’harmonie ou la douleur, telle une maîtresse satisfaite ou non. Cet univers hostile devient hypnotisant dès que vous essayez de le percer, de le comprendre. Les pygmées savent regarder l’invisible, écouter l’inaudible, interpréter les signes quelques peu irrationnels pour le commun des mortels. Ils sont supra-adaptés à leur biotope. Je les observe pour mieux comprendre. En fin d’après-midi, nous abandonnons, bloqués par un troupeau de femelles atrabilaires et la nuit qui va bientôt s’abattre sur le monde.
Les jours suivants, nous ne trouvons plus aucune trace fraîche de solitaire. Nous nous reportons sur des buffles qui égaieront nos sorties, inonderont nos souvenirs, sans jamais pouvoir concrétiser. Puis vint le dernier jour…
Le tonnerre avait grondé toute la nuit, les nuages déversant des trombes d’eau sur le toit de la forêt. Vers cinq heures du matin, j’entends comme un bruit de gouttes d’eau sur les feuilles larges du bananier qui frôle mon bungalow. Aux premières lueurs du jour, à 80 mètres du départ du camp, une trace miraculeusement déposée par Dame Nature. Mon cœur monte en rythme. Un éléphant prometteur vu le diamètre de la trace. Il est passé derrière ma case… Traversant le champ d’ignames des pygmées en s’y délectant au passage. C’est lui qui a égoutté les arbres en les bousculant de son passage. Nous le poursuivons fermement convaincus que c’est notre jour. Nous rencontrons un chimpanzé atterré, paralysé à mi- hauteur d’un tronc auquel il s’agrippe farouchement, le regard triste et impuissant.
L’éléphant tient le même cap, sans plus se nourrir. Je me retourne plusieurs fois pour régler notre vitesse de croisière à celle d’Alain. Au bout d’une heure et demie, les pygmées, les yeux rivés au sol, s’éparpillent soudain comme des mouches et s’évanouissent dans la végétation. Leur réaction triple la vélocité de nos cœurs. Je vois une forme sombre surgir de la flore. L’éléphant endormi s’est levé à notre approche… Il se dresse à cinq mètres de nous mais Alain, encore secoué par la frayeur de nos pisteurs, ne le distingue pas. J’aperçois ses défenses : magnifiques !
J’essaie de donner des repères à Alain, en vain. Il finit par percevoir le mouvement mais n’arrive pas à situer globalement l’animal. Ce dernier apeuré par le bruit des pygmées en fuite, nous épie, larges oreilles dressées. Masqué par un écran végétal dense, il écoute et observe. Deux longues minutes passent. Il décide de s’en aller dans un bruit de branches cassées, en s’arrêtant régulièrement pour discerner si tout ce fracas lui appartient. Nous le talonnons lestement. Un des pygmées, André, sans doute rassuré par notre attitude courageuse, revient vers nous pour nous assister dans notre traque. A peine dix minutes passent, il reprend ses jambes à son cou quand un second contact s’offre à nous. Nous devinons la silhouette de l’éléphant qui nous fait face. Alain sait qu’il ne faut plus laisser passer l’opportunité. Il distingue une défense, remonte jusqu’à l’œil, vise le centre d’une ligne fictive et tire. La mort surgit sans que le pachyderme ne la vît venir. Il plia les genoux et s’affaissa au ralenti. Balle de cerveau. Parfaite. Pendant un bref instant le temps s’arrête. Tout se fige. Comme si nous étions extérieurs à la scène. Puis nous réalisons peu à peu. Les pygmées réapparaissent nous congratulant d’une allègre mélopée.
L’un d’entre eux, Remy, toutes dents sorties, nous lance
« il a mangé notre champ d’ignames, nous allons le manger ! ».
Alain semble aérien, dans les nuages d’une satisfaction qu’il ne réalise pas encore. Comme un long trip qui débute sans vouloir jamais terminer. Un feu d’artifice de couleurs irisées par les reflets de soleil sur les ailes d’innombrables papillons « féérise » le décor. Nous figeons longuement l’instant sous le déclic de nos numériques puis reprenons le chemin du retour. Ce dernier fut mémorable.
La prolongation du trip. Nos lutins des forêts entonnent leur chant de gloire, comme une revanche de leur petitesse sur le gigantisme omniprésent des arbres, de l’espace, des pachydermes. Leurs vocalises nous pénètrent, comme une transe nous transportant dans des voies célestes. Nous arrivons au camp. Tout le village nous y attend. Leur aubade fusionne avec la nôtre. Ils nous honorent, nous fêtent, nous touchent, nous envient, nous remercient. C’est un peuple enjoué, harmonieux, poli, authentique, quelque peu dépendant des plaisirs de la vie que produisent l’alcool, le chanvre et le sexe. C’est là leur pire défaut. Nous les aimons. À Bientôt Dame Forêt.
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Cet article est extrait de notre ouvrage
« Maguida, Chroniques d’un Pisteur Blanc »
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