Histoire de Chasse

The Ghost Antelope

Hunting Cameroon
21 Octobre 2018 | dans Histoires de Chasse | par Frank Vannier
Giant Eland Hunting Cameroon

Mi-novembre, la dernière goutte de pluie vient de tomber. La saison sèche s’installe. Les longues herbes vertes vont rapidement se faner pour mieux crépiter lors des premiers feux de brousse. Comme chaque année, je pose le pied sur la terre rouge d’Afrique après deux mois de prospection européenne. Ma préoccupation première : la quête d’un « Caterpillar » afin d’ouvrir les pistes ravinées par les pluies diluviennes, et d’augmenter le réseau amorcé il y a deux saisons. La zone de 70.000 hectares, située à mi-chemin entre Garoua et Ngaoundéré, offre une diversité de paysages en relief. Le campement construit au bord de piscines naturelles en cascades du « mayo Faro », plonge dans une contemplation toujours aussi revigorante. Il me faudra restaurer quelques toitures de chaume dévastées par la voracité des termites pendant la saison morte.

Le 28 décembre arrive le premier chasseur : un Turinois et son fils, que je remercie ici pour nous avoir ravitaillés en délicieux capitaines (perches d’eau douce), tout au long du séjour. Pour son second safari au sein de l’organisation, mon hôte souhaite un éland de Derby et un hippotrague, les deux antilopes les plus sportives de nos savanes.

Cinq heures du matin, huitième jour de chasse, nous nous orientons encore sur le principal objectif : l’éland. Nous empruntons une piste menant sur des plateaux latéritiques à isoberlinia et gardénia.

Leurs feuilles cireuses et leurs fleurs odorantes sont fort appréciées de nos bovidaes.

J’aperçois des traces sur la piste. J’éteins le moteur du Discovery. Les pisteurs émergent de leur léthargie matinale, engourdis par les 16°c de température saisonnière. La carte du sol, les débris végétaux et les déjections nous révèlent de réjouissantes estimations : un troupeau d’une trentaine d’élands est passé il y a environ une heure. Enfin notre jour de chance !
 J’inspecte le sens du vent : bon. Nous commençons notre pistage avec enthousiasme. Les traces descendent vers une mare boueuse à deux kilomètres de là. Les premiers rayons de soleil éclairent la chaîne bleutée de Bantadjé. Le roucoulement de centaines de tourterelles se substitue au vrombissement des abeilles butinant le pollen des gardénias. Nous traversons le point d’eau nauséabond. Un superbe cob de roseau, surpris, détale vers un espace de pailles dorées non brûlées.

Nous remontons sur l’autre versant quand soudain, j’aperçois un mouvement au loin. Nous nous immobilisons. Je lève mes jumelles : des bubales paissant paisiblement… Puis une masse plus sombre, derrière un écran de végétation. Je me déplace seul de trois – quatre mètres sur la gauche et scrute de nouveau. À trois cent mètres : un éland ! Je m’accroupis. Toute l’équipe m’imite. Le spécimen localisé est une femelle. Sans doute une retardataire car le troupeau reste encore invisible.

Hunting Cameroon
Big Game Hunting Africa

Je fais signe à Carlo. Nous approchons lentement, mètre après mètre, dissimulés successivement par un tronc, une souche, un buisson, un îlot de paille. Nous alternions de rapides progressions et de maigres pauses, juste de quoi reprendre notre souffle et réajuster nos jumelles. À cette heure, les animaux profitent de la sérénité de l’aube pour pâturer avant d’aller se remiser. Nous avions progressé d’une centaine de mètres. La femelle avait disparu dans un creux du relief. Les bubales avec. J’observe alors deux phacochères aux magnifiques canines, remontant le flanc opposé du dénivelé, quand deux cornes les remplacent dans mes jumelles : un jeune mâle d’éland !
Le troupeau se trouve certainement dans le bas-fond. Il fallait en profiter et avancer avant eux. À cinquante mètres, un tronc calciné serait l’emplacement idéal. Nous nous dirigeons vers lui prenant mille précautions. Carlo souffle d’excitation. Plus que trois mètres. Deux croupes d’élands déambulent déjà sur l’autre versant. Puis trois, quatre, dix, le troupeau à soixante mètres en contrebas.

Quel spectacle ! Nous nous emplissons les yeux et l’âme quelques secondes. L’émotion nous fait momentanément oublier notre quête. Il est tellement rare de les rencontrer dans de telles conditions. C’est presque trop facile. La nature étonne et fascine.

En retrait, trois animaux s’imprègnent de boue, soulevant la terre de leurs cornes massives : trois énormes mâles ! L’un d’eux, le cou puissant, le fanon tombant drapé de noir, le trophée spiralé imposant, rejoint dans une allure majestueuse le reste du troupeau. Je l’indique à Carlo.
Malheureusement, il passe à cet instant derrière un veau et sa mère. Impossible de tirer. Les deux bubales nous ont découverts. Ils nous fixent sans relâche. Ils risquent de donner l’alerte. Nous sommes si près du but. Nous allions en quelques secondes effacer tous les efforts des jours passés, oublier les désillusions des retours amers après de longues et vaines traques, cicatriser les blessures sur nos genoux ; vestiges de nos approches reptatrices.

Mais voilà que deux sinistres bubales allaient renverser la situation. L’un d’eux dilate ses naseaux et souffle éveillant toutes les attentions alentours. La réaction est immédiate. Les élands, telle une armée déployant une stratégie défensive, forment un cercle et épient dans toutes les directions. Les mâles se réfugient à l’intérieur du groupe. Les bubales soufflent de nouveau. Les élands rauquent, l’œil exorbité. Notre mâle ne laisse apparaître que sa croupe harnachée d’une fine raie blanche. Sa stature domine celle des autres. Je le montre du doigt à Carlo et lui suggère de tirer dans cette partie peu noble. Nous risquons de perdre toute opportunité si nous ne l’immobilisons pas d’une balle de colonne vertébrale. Carlo lève méticuleusement le canon mat de sa 416, se pose sur le tronc, vise. Les secondes sont longues. Le coup retentit. L’écho de l’impact nous répond. L’animal rue. Le troupeau sursaute et trotte anarchiquement, avant de se diriger dans un même ensemble vers la chaîne de montagnes. Le blessé se traîne et se détache du troupeau. Carlo double, le renversant dans un nuage de poussière.

Une joie immense nous envahit. Nous nous accolons. Carlo ne réalise pas totalement. Les pisteurs nous rejoignent euphoriques. Nous nous approchons du « fantôme », comme le surnomme les anglo-saxons. Les pisteurs contournent l’animal et lui recouvrent les yeux de poussière ocre. Ils ne souhaitent pas être reconnus par son âme. Samaki, « l’aïeul », se contorsionne dans une danse traditionnelle. Il s’excuse auprès de l’esprit réincarné dans l’animal.

Séance photo, dépeçage et retour au camp. Le champagne coulera à flot ce soir. Les tam-tams retentiront sous la voie lactée. Nous avons repu notre soif d’authenticité.

Demain un autre jour…

Cet article est extrait de notre ouvrage « Maguida, Chroniques d’un Pisteur Blanc », disponible à la vente !
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